LE PLAISIR FEMININ
ENTRE ORGASME & JOUISSANCE
SOMMAIRE
- Un peu d’histoire
- Plaisir, orgasme et jouissance
- Paroles de femmes
- Les sources du plaisir sexuel féminin
- Orgasme clitoridien – orgasme vaginal
- Plaisir féminin et psychisme
- Conclusion : la pratique du thérapeute
Si la sexualité féminine est un continent obscur, ainsi que le notait S.Freud, alors à coup sur le plaisir féminin en est le point le plus sombre, par son mystère et sa puissance.
Que le plaisir féminin soit une énigme pour l’homme, il n’y a là rien de bien étonnant. Ce qui est plus remarquable est la méconnaissance par les femmes elles-mêmes, de ce qu’il en est de leur propre plaisir.
Nombreux sont les interrogations et les doutes qu’elles émettent en consultation sur la qualité et le niveau de leur orgasme (lorsqu’elles déclarent en avoir !).
Ce questionnement ne date pas d’aujourd’hui. Dans la Grèce antique déjà (et sans doute bien avant) il était posé. Rappelons la curieuse histoire du devin Tirésias :
« Selon le résumé qu’en donne Apollodore, Tirésias aperçut, alors qu’il était près du mont Cyllène, deux serpents en train de s’accoupler ; il les frappa et fut transformé en femme. Plus tard, observant les deux mêmes serpents en train de s’unir à nouveau, il fut transformé en homme. C’est la raison pour laquelle, quand Zeus et Héra (son épouse) se mirent à se quereller pour savoir lequel des deux sexes tirait le plus de plaisir de l’acte d’amour, ils se tournèrent vers Tirésias pour obtenir une réponse.
Si la jouissance du couple pouvait se diviser en dix parts égales, répond Tirésias, alors la femme en obtient neuf et l’homme une seule.
La réponse de Tirésias était claire, les femmes étaient, à n’en pas douter, celles qui tiraient la plus grande jouissance de l’acte sexuel ; aussi Zeus l’emporta-t-il dans la dispute. Héra, en colère, rendit Tirésias aveugle ; Zeus lui donna en compensation des pouvoirs de devin et une longue vie. » (1)
Ce mythe est révélateur. Dans la querelle, c’est Héra, la femme, qui prétend que le féminin connaît une jouissance moindre que l’homme. Lorsque la vérité est révélée par Tirésias cela provoque chez elle une fureur terrible et elle prive de la vue celui qui, justement, a vu clair sur la question de la jouissance féminine.
A ce stade du mythe, deux interprétations sont possibles :
- soit Héra ignorait la puissance potentielle de sa capacité à la jouissance sexuelle, et le jugement de Tirésias l’a mise devant l’étendue de ce qui lui a échappé et qu’elle ne maîtrise pas, déclanchant dépit et colère,
- soit Héra était au fait de son potentiel de jouissance mais ne désirait surtout pas que celui-ci fût révélé aux hommes !
- ou bien, pour suivre Laurent Danon-Boileau (2) « pour Héra, il s'agit là d'un effort désespéré pour rester conforme à l'idéal de suffisance narcissique. Jouir plus que l'autre, c'est devoir plus à l'autre qu'il ne vous doit. » .
Quoiqu’il en soit, Tirésias n’étant pas de ce monde et nul n’ayant expérimenté en lui même, à la fois la jouissance masculine et la jouissance féminine, nous en seront toujours réduit aux spéculations, sur une question qui échappe aussi aux dieux !
Quitte à spéculer, la suite de ce texte vise à poser les trois points suivants :
- 1° il y a bien une forme d’aboutissement du plaisir féminin, la jouissance, différente de l’orgasme
- 2° la distinction orgasme clitoridien/ jouissance vaginale n’est pas pertinente dans son sens physiologique.
- 3° la jouissance n’est pas un orgasme vécu à un octave supérieur, mais un mode différent de l’élaboration psychique de l’excitation sexuelle qui nécessite la présence d’un « autre », réel ou fantasmé.
Un peu d’histoire.
Dans le cours de l’histoire ce sont surtout les hommes qui ont discourus sur le plaisir féminin (et le présent texte n’y échappe pas !), soit pour le nier, soit pour le lier à la procréation, soit pour y voir la preuve de l’intervention de Satan (pauvres sorcières !) soit d’une maladie (pauvres hystériques !).
D’après Isabelle Yhuel (3), le plus ancien traité de gynécologie retrouvé dans l’histoire, écrit au IIeme siècle après J-C par Soranos d’Ephèse, un Grec d’Asie mineure, explique qu’il importe peu que l’épouse éprouve ou non du plaisir, le plaisir de la femme n’étant pris en compte que dans la mesure où il aide à celui de l’homme. Cependant, les Grecs étaient convaincus que l’orgasme féminin était nécessaire à la fécondation. L’homme qui désire un enfant doit faire jouir sa femme.
Hippocrate pensait que les femmes émettaient une semence qui se mêlait à celle de l’homme, la Cyprine, et donc qu’elles devaient jouir pour être enceintes. C’était là le seul intérêt porté à la jouissance féminine.
A Rome, la vie sexuelle était beaucoup plus pudique que l’on ne le croit : on faisait l’amour dans le noir, le cunnilingus était impensable pour un citoyen romain et l’orgasme féminin était bien éloigné de cette culture éminemment machiste.
« Loin d’être une société de liberté sexuelle, le monde romain y apparaît comme régi par des tabous très forts. Lors de l’amour, une femme honorable garde sa gorge couverte et un homme viril ne pratique pas le cunnilingus. » (4).
Si les bordels proliféraient dans les cités romaines, c’était uniquement à l’usage du plaisir masculin, sans considération du plaisir des prostituées.
Au Moyen Âge, et jusqu’au XVIIIeme siècle, on est toujours convaincu de la nécessité de l’orgasme féminin pour avoir des enfants. Les médecins vont donc multiplier les conseils afin que le rapport sexuel aboutisse à la jouissance pour la femme dans le cadre du mariage et à seule fin de la procréation.
Aux alentours de l’an Mille, Avicenne, médecin et philosophe iranien écrivait ceci :
Que les hommes prolongent le jeu avec les femmes. Qu’ils caressent les seins et la région pubienne, et qu’ils enlacent leur partenaire sans véritable accomplissement. Et quand ils sont parvenus au désir, qu’ils se joignent à elles en frottant la région qui se trouve entre l’anus et la vulve. C’est en effet le lieu, du plaisir. Qu’ils soient attentifs au moment où se manifeste une plus forte adhésion de la femme, où ses yeux commencent à rougir, sa respiration à s’intensifier, et où elle se met à balbutier. (Avicenne, Canon III, cité par Yves Ferroul (5)).
Cependant, le plaisir féminin hors du cadre étroit du mariage et de la reproduction fait très vite l’objet d’une haine féroce de la part des hommes d’église, à commencer par Saint Augustin qui impose une relation entre érotisme et péché. Le plaisir sexuel soit disant manifesté par les sorcières lors de sabbats et autres pratiques diverses et variées sensées être un témoignage de leur jouissance, ne peut être que le résultat de la fornication avec le diable et donc d’une possession démoniaque. Entre le XIVeme siècle et le XVeme siècle, des milliers de femmes furent brûlées pour cela.
Bien entendu, c’est le XIXeme siècle qui va battre tous les records de répression de la jouissance féminine. La découverte des mécanismes de la fécondation, du rôle des ovaires et de l’ovulation, indépendamment de l’activité sexuelle favorise le discours masculin manifestant l’horreur du plaisir féminin.
Le plaisir de la femme n’étant plus considéré comme nécessaire à la fécondation, alors une « femme bien » ne doit pas avoir de plaisir et même le fuir. La femme mariée ne doit pas être intéressée par la sexualité qu’elle ne pratique que pour avoir des enfants.
A l’inverse, une femme qui recherche l’orgasme, qui exprime sa jouissance et pour qui le plaisir est essentiel, est alors nécessairement une hystérique, qui relève de la pathologie mentale et qu’il faut absolument guérir de son désir, ou bien une putain, victime de ses sens.
La masturbation était alors considérée comme l’une des causes et manifestation de l’hystérie féminine. En 1836, le docteur Lallemand publie un ouvrage en 3 volumes contre la masturbation féminine. De nombreux médecins recommandent l’excision :
«Si le clitoris se révèle une source d’excitation permanente, on doit le considérer comme malade, et son ablation devient licite». (6)
Le docteur Guérin de l’Académie de Médecine, se vante d’avoir guéri plusieurs jeunes filles affectées d’onanisme en leur brûlant le clitoris au fer rouge ! (7)
Le président de la British Medical Society, Baker Brown, recommande en 1865 l'ablation du clitoris, une opération jugée aussi bénigne que celle des amygdales, comme moyen de prévenir l'apparition de «troubles mentaux» tels que l'épilepsie ou l'homosexualité.
On reste confondu par ce que peut proférer le corps médical à certaines époques !
Ce n’est que dans les années vingt que Wilhelm Reich, après Freud, développera sa théorie tendant à démontrer qu’au contraire, l’orgasme est un gage de bonne santé générale et peut empêcher certains troubles comportementaux et névrotiques.
Mais c’est seulement au cours des trente dernières années que le regard social masculin a enfin changé par rapport à la sexualité féminine, en grande partie sous la pression des mouvements féministes.
Remarquons cependant que cette évolution favorable ne s’est produite que dans une partie du monde occidental, alors que l’oppression du féminin qui résulte, en profondeur, de la peur masculine de la puissance de la jouissance féminine, continue à régner dans nombre de pays et concerne des milliards de femme.
A l’inverse, il y a maintenant en occident une revendication à l’orgasme féminin qui active l’angoisse masculine devant le plaisir des femmes et place nombre d’hommes dans un sentiment d’obligation de résultat et aussi d’incompétence s’ils ne parviennent pas à procurer l’orgasme attendu par leur partenaire.
Simultanément, les femmes se posent actuellement beaucoup de questions sur ce qu’il en est réellement du plaisir féminin en général et de leur plaisir en particulier. Enfin, beaucoup de femmes n’ont pas conscience de leur propre responsabilité par rapport à leur propre plaisir. Elles attendent passivement tout de leur partenaire. Hors celui-ci, aussi attentif et présent soit-il, ne peut rien à lui tout seul. Il est nécessaire que sa partenaire soit consciente de là où elle en est de sa sexualité et qu’elle est aussi actrice de son plaisir.
Plaisir, orgasme, jouissance.
Il importe d’abord de bien distinguer ces trois notions.
Le plaisir est défini par le petit Larousse comme une sensation ou un sentiment agréable.
Sur le plan du plaisir sexuel, on le définit souvent comme l’ensemble des sensations voluptueuses ressenties pendant l’acte, y compris l’orgasme ou la jouissance.
Pour ma part dans la suite ce texte, je propose de le définir comme un sentiment de bien être physique et psychique, résultant d’un état d’excitation et se traduisant par des manifestations corporelles indépendamment de la survenue de l’orgasme.
En effet, nombre de femmes nous disent en consultation, ressentir du plaisir aux caresses sexuelles ou à la pénétration, sans pour autant avoir d’orgasmes. En outre, la sensation de plaisir peut subsister après l’orgasme.
Notons cependant que le plaisir est bien évidemment un préalable nécessaire à l’orgasme et à la jouissance et que dans cette définition, le plaisir appelle l’orgasme ou la jouissance puisqu’il suppose la tension de l’excitation.
Le plaisir est ressenti par chacun d’une façon singulière et très personnelle et n’est donc définissable qu’en référence à un vécu individuel. C’est pour cela que chacun doit se référer à ses propres sensations pour définir son niveau de satisfaction et non pas à une soit disant norme qu’il faudrait absolument atteindre.
L’orgasme a donné lieu en sexologie à de nombreuses études.
Le mot orgasme signifie : «je suis entièrement agité» , «bouillonner d'ardeur». Du grec orgasmos, lui-même dérivé d'orgâo et du verbe orgän, le terme signifie «bouger», «agir». Dérivé de urg'as, il signifie aussi exubérance de force, énergie et jus.
L’orgasme correspond à un summum de la tension sexuelle, suivi d’une décharge de celle-ci et accompagnée de contractions rythmiques des muscles périnéaux et de l’intérieur du vagin ainsi que pour certaines femmes, de l’émission d’un liquide par l’urètre, différent de l’urine et du liquide de lubrification vulvaire ou vaginal (femmes fontaines).
L’orgasme féminin suit le même cycle que l’orgasme masculin, à une différence majeure près, celle du temps. Ce cycle a été mis en évidence par Master et Johnson en 1966.
Le cycle de l’orgasme
On distingue donc quatre phases majeures :
- la phase d’excitation qui se traduit par une élévation de la tension, un gonflement du clitoris, des tissus érectiles de la vulve et du vagin et une lubrification vulvaire. Notons que contrairement à un homme, une femme peut ne pas avoir conscience de ce qui se passe dans son sexe, du moins au début. A ce niveau, il convient de faire la distinction entre excitation physiologique et excitation psychique.
- La phase de plateau au cours de laquelle l’intumescence est maximale, la congestion des organes sexuels est totale, les seins gonflés et on peut aussi noter l’apparition de rougeurs sur la peau, notamment au décolleté et sur la face. La lubrification vaginale, par trans-sudation, est à son maximum.
- La phase orgasmique : « La tension sexuelle et musculaire augmente, le premier tiers du vagin se gonfle, resserre l'ouverture et les deux tiers du fond du vagin s'arrondissent. Le pic de l'orgasme féminin est caractérisé par 3 à 15 contractions involontaires du troisième externe du vagin, et de fortes contractions de l'utérus et des sphincters interne et externe de l'anus. Ces contractions se produisent à des intervalles de 0,85 seconde. Au pic de l'orgasme, d'autres manifestations périphériques peuvent aussi apparaître, telles que l'augmentation de la tension artérielle (+ 20-40 mmHg ; systolique et diastolique), de la fréquence cardiaque qui peut atteindre 160 b/ min ou encore la dilatation des pupilles. Des contractions volontaires et involontaires des grands muscles, comme des muscles faciaux et un spasme carpo-pédal sont aussi souvent associés.
D'un point de vue neuroendocrinologique, l'orgasme n'augmente pas seulement la pression sanguine, le rythme cardiaque et le taux de noradrénaline, mais aussi les taux de prolactine pendant 60 minutes chez les femmes et 30 minutes chez les hommes. Chez les femmes multi orgasmiques, une corrélation positive entre l'augmentation du taux d'ocytocine et l'intensité de chaque orgasme a également été montrée. Les taux de norépinéphrine sont aussi connus pour être au maximum lors de l'orgasme (8). Tous ces éléments ont été mis en évidence par les pionniers qu’ont été Master et Johnson.
- La phase de résolution caractérisée par un relâchement, un sentiment d’apaisement, de détente, une détumescence de la zone génitale, une décontraction des muscles périnéaux. A ce stade le taux d’endorphine et d’ocytocine est maximum. Cette phase peut être très courte pour la période réfractaire (quelques secondes, le temps que le niveau retombe approximativement à celui du plateau antérieur) et alors il y a possibilité d’un nouvel orgasme si la stimulation est adaptée et si il est désiré, … et ainsi de suite.
Atteindre l’orgasme peut demander couramment 20 à 30 minutes de caresses et de stimulations préalable alors que pour un homme, il peut être atteint en quelques minutes. Les phases d’excitation et de plateau sont plus longues pour les femmes, alors que la phase réfractaire peut être presque inexistante, contrairement aux hommes ou elle peut se prolonger de quelques minutes à quelques jours, suivant l’âge.
A contrario, comme les hommes, certaines femmes peuvent atteindre l’orgasme en 3 mn par autostimulation du clitoris.
Parmi les femmes qui disent se masturber (62 % de l’échantillon du rapport Kinsey et 82 % de l’échantillon de l’étude de Hite), 95 % ont facilement des orgasmes en un temps moyen de 4 minutes soit aussi rapidement que les hommes. Parmi elles, 84 % se masturbent en stimulant le clitoris et les petites lèvres, moins d’un cinquième le font par stimulation clitoridienne et en s’insérant un objet dans le vagin et 1,5% d’entre elles le font seulement par stimulation vaginale (selon commission journal publié le 23 juillet 2007)
Au-delà de ce constat quantitatif, le contenu qualitatif d’un orgasme est plus significatif et riche d’enseignements.
Voici un témoignage parmi beaucoup d’autres, celui de Claire, publié sur son blog internet (textuellement.blogspot.com):
En fait, l'orgasme, de quel type qu'il soit, est une expérience unique, totalement enivrante. L'apothéose après une montée croissante de plaisir, le relâchement, le feu d'artifice final. C'est comme un éclair qui remonte du bas ventre, une sorte de petit filet électrique qui nous traverse. Cela entraîne souvent une courte période (quelques secondes à plus longtemps) de décrochage total, on perd pied, nos pupilles se dilatent et nos sens nous abandonnent dans un flottement tout particulier. Un pur moment de plaisir où le monde alentour n'existe plus. Une extase extatique. Et vous savez le mieux dans tout ça, c'est que nous autres sommes insatiables, nous avons la chance de pouvoir renouveler l'orgasme instantanément, de les multiplier ; les orgasmes à répétition restent bel et bien l'apanage de la femme : sans doute le petit bonus que Dieu nous a accordé en échange des calvaires connexes qui sont notre lot.
Ce qui caractérise un orgasme, c’est une montée en pic très rapide (voir schéma), intense, très localisée, courtes (quelques secondes) et accompagnée d’une tension extrême, suivie par une décharge rapide. De plus il s’obtient aussi bien par masturbation (et même souvent mieux et facilement et rapidement) qu’avec un partenaire.
Nous allons voir que les caractéristiques de la jouissance sont très différentes.
La jouissance.
Elle est définie par le petit Larousse comme : Plaisir extrême tiré de la possession de quelque chose – Plaisir des sens.
En matière sexuelle on pourrait mieux la définir comme un plaisir extrême tiré du fait que l’on ne se possède plus, en fait l’assimiler à l’extase, c'est-à-dire à : l’état d’une personne qui se trouve comme transportée hors du monde extérieur.
Cet état de jouissance, différent de l’orgasme, n’a pas fait l’objet (à notre connaissance) de recherches approfondies en laboratoire, pour au moins trois raisons.
D’abord, il échappe à la condition de reproductibilité car il survient de manière aléatoire, totalement inattendue et surprenante et dans des conditions hautement singulières, qui dépendent des partenaires.
Ensuite il est rare, peu de femmes l’ayant expérimenté (sans doute moins de 20%, suivant les enquêtes).
Enfin, la part du psychique dans la jouissance est totalement prépondérante et par là même, échappe à l’investigation neurophysiologique. Les techniques d’imagerie médicale permettrons sans doute de déterminer les zones du cerveau qui sont activées, mais cela ne nous dira rien sur ce qu’est véritablement la jouissance.
On peut d’ailleurs rajouter que nombre de sexologues font une confusion entre le couple clitoridien / vaginal d’une part et le couple orgasme / jouissance d’autre part.
Il nous semble qu’il faut dépasser cette querelle idéologique du couple vaginal/clitoridien pour s’intéresser au couple orgasme/jouissance.
Il convient donc de s’interroger préalablement sur la réalité de cette notion de jouissance féminine, distincte de l’orgasme.
Pour cela il nous faut donner la parole aux femmes.
Paroles de femmes sur leur jouissance
Voici quelques témoignages.
Ils sont issus d’une série d’interviews, menés auprès de femmes volontaires, situées dans la tranche d’age de 25 à 55 ans et menant une vie sexuelle régulière.
L’entretien était totalement ouvert de façon à ce que chacune puisse mettre ses propres mots sur son ressenti, sans être influencée ou orientée.
Pour que tous les aspects de ce ressenti soient abordés, un guide d’entretien avait été établi comme suit :
- Avez-vous déjà ressenti des orgasmes dans votre vie sexuelle, seule ou avec un partenaire ?
- Parmi ces orgasmes, il y en a-t-il que vous avez ressenti très différent dans leur nature, indépendamment de l’intensité qui peut être variable d’un orgasme à l’autre ?
- Pouvez vous me décrire ce plaisir différent ?
- Quelles différences sont caractéristiques par rapport à un orgasme « courant » ?
- Ce plaisir part-il d’une zone précise ?
- Avez-vous remarqué des particularités au niveau des préliminaires, du partenaire, de l’environnement, ou tout autre élément spécifique, qui conduisent à cette forme de plaisir ?
- Comment se situe dans le temps, la montée, le plaisir maximum et la redescente ?
- Selon vous pourquoi cette forme de jouissance advient dans votre activité sexuelle ?
Les femmes n’ayant jamais ressenti d’orgasmes au cours de leur vie sexuelle (réponse « non » à la première question) n’ont pas été prises en compte.
Cette série d’entretien n’a aucune valeur statistique, elle ne vise qu’à comprendre le contenu qualitatif de la jouissance à travers des paroles de femmes.
Ont été rajoutés deux témoignages rapportés par des auteurs.
Doris :
Par deux fois, et deux fois espacées d'une dizaine d'années (!), j'ai ressenti quelque chose de bien différent. Un orgasme, oui, définitivement, mais venu d'ailleurs. Un truc qui ne part pas du clitoris, qui n'y est même pas connecté, venu d'on ne sait où, une zone érogène non identifiée pour moi ... et qui terrasse, comme une sensation issue d'une sphère inconnue, qui rempli chaque centimètre cube de mon corps.
Sophie (40 ans )
Il y a une vague intérieure qui monte, c’est beaucoup plus lent à venir et à monter et c’est beaucoup plus long dans la durée qu’un orgasme. Cela m’envahi tout le corps et cela est tellement fort qu’après je suis ko ! C’est très difficile à décrire. Cela monte très très doucement contrairement à un orgasme qui arrive beaucoup plus vite et qui s’éteint beaucoup plus vite, alors que là c’est vraiment très long et je le sens venir très doucement et il dure, il dure….Après quand cela retombe, je suis totalement ko..
C’est vraiment le nirvana, c’est très différent d’orgasmes successifs très intenses, c’est autre chose.
Je sais très bien comment une jouissance peut venir. Il me faut de la part de mon partenaire une double excitation : au niveau du clitoris et une pénétration ou une caresse anale ou vaginale éventuellement avec les doigts. Cela n’est pas possible avec le clitoris seul. Les paroles sont aussi très importantes pour moi.
La jouissance ne part pas de la même façon que l’orgasme. Avec un orgasme je ressens une chaleur intense très localisée au niveau du sexe alors que dans le cas d’une jouissance je sens un bien être qui arrive et qui va crescendo et qui envahi toute la sphère génitale et le ventre, ce n’est pas ciblé.
Après, je suis bien et je ne peux plus bouger, dans une sensation de bien être et de relaxation totale. Ensuite cela dépend de ce que va faire mon partenaire. J’ai du mal à revenir ou à me remettre dans l’acte.
Je peux me procurer (plus difficilement) une jouissance seule, mais à condition de fantasmer énormément. Cela m’est aussi arrivé avec un partenaire qui simplement me murmurait à l’oreille des paroles qui m’ont mise dans un état d’excitation extraordinaire, en me caressant le bout des seins. Je n’ai jamais connu cela avec un autre homme.
Je ressens cette jouissance régulièrement, mais seulement depuis quelques années. Il faut que je sois en totale confiance et en totale harmonie avec mon partenaire.
Françoise (55ans)
J’ai découvert la jouissance à 45 ans. Je l’ai atteinte après un an de relations sexuelles avec mon amant. Je ne pensais pas que l’on pouvait aller aussi loin, hors du temps, hors du lieu où l’on se trouve.
Maintenant je ne pense plus qu’à cela, jour et nuit, j’ai en permanence envie de retrouver cette jouissance, je désire qu’il me prenne et me reprenne, d’être toute à lui, qu’il fasse de moi ce qu’il désire.
Je me masturbe depuis mon adolescence et d’autre part, je suis mariée, j’ai déjà eu de nombreux orgasmes très intenses.
Mais aucun des orgasme que j’avais ressentis jusque là n’était comparable à ce sentiment d’être totalement ouverte à l’autre, à mon amant, d’être totalement possédée par quelque chose d’innéfable qui m’échappe définitivement.
Dans ces moments, je ne maîtrise plus rien, je ne contrôle plus rien, je ne suis que désir et ouverture, je voudrais que cela dure éternellement.
Isabelle (52 ans)
C’est une autre trajectoire qu’un orgasme.
Il y a quelque chose d’une autre nature que l’orgasme habituel, comme relié à du spirituel et qui me fait m’envoler beaucoup plus haut, c’est très différent. J’ai l’impression de communiquer avec l’univers, je fais alors partie d’un « grand tout ». C’est comme si je n’existais plus, je baigne dans quelque chose qui me remplit, qui me nourrit, une impression de s’envoler, de ne plus faire partie de la terre.
La jouissance est quelque chose qui s’apparente à des mets délicieux, qui me remplit complètement, c’est bon comme des mets d’une sensualité extrême qui diffusent partout dans mon corps. C’est doux, c’est sucré ! Mon corps devient comme du miel.
Je ne saurais pas dire qu’est ce qui amène à ça ! Est ce un état, des circonstances, la personne, je n’en sais rien.
C’est le corps qui est bien à l’origine de cet état et c’est bien quelque chose de sexuel.
Il y a un flash, avec une immense sensation de bien être, assorti de tremblements. Cela démarre du Sacrum et cela remonte jusqu’au cerveau.
Je ne fais pas le distinguo entre excitation clitoridienne et excitation vaginale et je ne situe donc pas la jouissance comme provenant de l’un où de l’autre.
Il faut qu’il y ait une connexion importante avec mon partenaire, une grande confiance, quelqu’un que je connaisse bien. Il faut qu’il y ait une sorte d’alchimie avec l’autre. Il faut que je sois très en confiance pour oser laisser voir à l’autre ma jouissance. Si ce n’est pas le cas, je crois que j’empêcherais le phénomène. Je ne peux pas me procurer ce type de jouissance en me masturbant.
Avec un partenaire régulier cela peut être courant.
Cela peut aussi se déclancher spontanément, sans la présence d’un partenaire, dans un environnement particulier qui va me situer dans un état de bien être.
Le moment le plus intense dure plus longtemps que pour un orgasme et la redescente est proche d’un évanouissement, d’une perte de conscience pendant un petit moment.
L’orgasme est une énergie, c’est électrique. L’un peut amener l’autre, mais la jouissance peut exister sans l’orgasme.
Eva ( 52 ans)
J’ai ressenti la jouissance tardivement dans ma vie sexuelle, avec un seul partenaire.
Pendant le rapport avec mon partenaire, j’ai ressenti un très puissant sentiment d’union. Nous étions tous les deux pris dans un rythme et j’ai ressenti un très profond plaisir au niveau de mon sexe. Mais en fait c’est surtout après que j’ai vécu quelque chose de très particulier. Après le rapport, je suis resté près d’une demie heure à être complètement ouverte, le cœur ouvert, plus rien n’était un problème et j’ai ressenti une espèce d’extase, comme les mystiques peuvent le ressentir. Je ressentais un immense amour, je baignais dans l’amour, tout était alors amour.
Pendant le rapport, je ne me rendais pas compte car j’étais totalement prise par le plaisir, et c’est immédiatement après que j’ai compris que j’avais vécu là quelque chose de très particulier, une jouissance dont j’ai réalisé l’existence après coup.
C’est beaucoup plus doux qu’un orgasme, qui est intense, explosif, fulgurant alors que cette jouissance était océanique, douceur, rythme, mouvement doux. J’ai déjà ressenti des orgasmes clitoridiens très puissants, mais qui n’avaient rien à voir.
Il y a aussi des différences d’intensité dans la jouissance.
La redescente est très lente contrairement aux orgasmes.
Ce n’était pas que localisé au sexe, c’était dans une union totale avec mon partenaire au moment du rapport.
C’est parti du sexe, mais pas d’une zone précise, avec des courants électriques dans la nuque, tout le corps participe dans une espèce de transe, la tête vide.
Il n’y a pas de différence dans les préliminaires par rapport à un orgasme. Je ne peux pas expliquer pourquoi cela vient, sauf que je suis totalement dans le moment, la sensation de l’acte et pas dans la pensée, j’accepte de lâcher un côté observateur et critique par rapport à ce qui se fait à cet instant là.
Je ne suis plus dans ma tête. Je pense aussi que la sensibilité vaginale m’est nécessaire pour atteindre la jouissance.
Cette expérience est exceptionnelle, mais je sens que j’en suis tout proche assez fréquemment.
Je ne peux pas atteindre ce plaisir seule, mais j’ai déjà ressenti cela d’une manière totalement inattendue, simplement à partir d’une sensation qui est partie spontanément de mon sexe.
Murielle (34 ans)
Cela m’est arrivé deux ou trois fois.
J’ai ressenti par moment des orgasmes très différents, à tel point que je me suis demandée si ceux que je ressentais habituellement étaient bien des orgasmes ou si ce que je ressentais là était bien un orgasme. En fait je ne sais toujours pas. C’était fort, agréable mais surtout très surprenant. C’était un moment donné où je n’étais pas stimulée au niveau du clitoris, je me suis donc dit que c’était peut être ce que l’on appelle un orgasme vaginal. Je ne sais toujours pas.
Cela se passe au niveau de mon ventre, cela part du vagin, pas du clitoris, et c’est comme des frissons intérieurs, comme si mes tripes frissonnaient, une espèce de vibration. Par moment je ne savais pas trop si c’était du plaisir ou pas. C’était une sensation très forte qui ne me donnait pas envie de hurler de plaisir comme pour un orgasme tel que je le connais, j’avais envie d’ouvrir la bouche pour que quelque chose sorte, sans que cela soit un cris. C’est très étrange, comme si je me dilatais. Dans un orgasme normal, à un moment donné cela explose et je redescends très vite, avec une sensation de satisfaction, d’être allée au bout de mon plaisir.
Dans la jouissance au contraire, c’est comme si je n’avais jamais été au bout, il y a une sorte de frustration lorsque cela s’arrête car on voudrait que cela soit sans fin et il n’y a pas d’explosion. Il n’y a pas de pic. Si cela s’arrête c’est que je n’en peux plus.
Cela redescend tout doucement, avec un grand étonnement. Il y a un apaisement très différend de celui que l’on ressent dans un orgasme après l’explosion. C’est une sensation très intérieure.
Cela ne dépend pas du partenaire mais du type de pénétration intense. J’ai l’impression que c’est assez mécanique, après une pénétration rapide et intense.
Par ailleurs, j’ai découvert il y a peu, un orgasme qui dure très longtemps, un plateau très long, sans explosion, qui peut durer une demi heure. Cela ressemble à un orgasme classique, mais sans pic et cela redescend tout doucement. Il n’y a pas explosion. Ce type d’orgasme est lié au partenaire et n’est pas lié à la pénétration. C’est aussi lié à une situation particulière avec ce partenaire.
Salomé (44 ans)
J’ai déjà ressenti un plaisir extraordinaire très différent d’un orgasme.
Cela a été d’une telle violence que j’ai eu le sentiment de faire un malaise. J’ai ressenti une forte accélération cardiaque, des frissons et une sudation de tout le corps.
Après, Je me suis sentie comme vide, sans énergie, les jambes coupées, déconnectée, hors du temps et de l’espace, comme si on avait pris possession de mon corps.
J’ai eu un sentiment de malaise pendant au moins 15 min.
J’ai aussi des orgasmes « dépressifs » je pleure après, comme si j’aurais aimé que cela dure plus longtemps.
C’est différent d’un orgasme courant, par l’intensité et surtout la période « post orgasme ». Cela résulte pour moi d’un abandon total, sans aucune réserve physique. C’est l’association d’un moment très sexe dans le corps avec un lâcher prise cérébral. Cela nécessite de se sentir totalement connectée avec l’autre et déconnectée de tout le reste.
La confiance et la bienveillance sont essentielles. Si j’ai confiance, alors je n’ai plus de limites, je peux lâcher prise et entrer en jouissance.
J’ai aussi connu cela par la voix de mon partenaire. Il était derrière moi, je ne le voyais pas et je fantasmais par rapport à ce qu’il me racontait. C’est la conjonction de la force et de l’intensité de l’histoire qu’il me murmurait avec mes fantasmes qui ont provoqué cette jouissance.
Tout cela est très différent d’un orgasme que je me procure par masturbation par exemple
Kate (rapporté par I.Yhuel)
Ca irradie le corps comme une boule de chaleur, une espèce de soleil qui se crée. C’est le plus difficile à avoir, le plus difficile à vivre aussi, donc le plus précieux.
Femme citée par Gérard Leleu (9)
Même sans orgasme, la relation sexuelle peut atteindre chez moi un niveau que j’appellerais mystique. La joie que j’éprouve est quasiment une extase.
……
Ces témoignages à travers leur singularité présentent néanmoins de nombreux points communs à partir desquels nous pouvons dégager une approche des manifestations de la jouissance féminine :
- toutes font une différence très claire entre l’orgasme, qu’elles connaissent et avec lequel elles sont familiarisées, et la jouissance qui est ressentie comme de nature totalement différente, voir étrange et inconnue (même si faute d’autre mot elles le qualifient « d’orgasme particulier ».
- le point de départ de la jouissance n’est pas particulièrement le clitoris ou la zone péri-clitoridienne, mais le sexe dans sa globalité.
- Le ressenti n’est pas centré sur la zone génitale, mais réparti dans tout le corps.
- A l’acmé du plaisir, il ne s’agit pas d’une sensation de tension extrême puis de détente, mais au contraire, une sensation de relâchement total, de flottement, de vague, qui enveloppe et emporte.
- La durée du sommet de la jouissance est de l’ordre de la dizaine de minutes, voir très nettement plus, contrairement à l’orgasme (3 secondes à quelques minutes)
- La jouissance est aussi suivie d’une longue phase de résolution, généralement accompagnée d’un ressenti de bien être extrême, un sentiment d’ouverture sur le monde, d’amour inconditionnel et de paix intérieure. La descente durant cette phase de résolution est nettement plus lente que pour l’orgasme.
- Ce type de jouissance semble être plus facilement accessible à partir d’une certaine maturité sexuelle.
Par rapport aux quatre phases de l’orgasme (voir schéma) on constate que les phases d’excitation et de plateau coïncident mais qu’ensuite la phase de jouissance ne correspond pas à un pic mais à une montée vers un second plateau très élevé et de nature différente puisqu’il ne s’agit pas d’un pic de tension, mais d’un sentiment de sortie de son corps, de relâchement absolu, de flottement. Ce plateau peut s’étendre sur une très longue durée. Ensuite une lente phase de résolution, marquant une sorte de retour sur terre.
A partir de ces observations, on peut proposer un schéma comparatif entre orgasme et jouissance qui s’établirait comme suit :
L’élévation massive du taux d’endorphine et d’ocytocine libérées dans l’organisme au moment de l’orgasme a fait l’objet de nombreuses études, mais il serait intéressant de pouvoir faire une comparaison des taux respectifs de Béta-Endorphines et surtout d’Ocytocine chez un même sujet, dans une expérience de jouissance d’une part et lors d’un orgasme d’autre part.
Compte tenu des témoignages, on pourrait s’attendre à des taux d’Ocytocine extrêmement élevés dans le cas de la jouissance (sentiment d’amour inconditionnel, d’ouverture totale…)
Les sources du plaisir sexuel féminin.
Physiologiquement, la zone génitale féminine, particulièrement le clitoris, est faite pour le plaisir. Contrairement à l’homme, pour qui le pénis sert aussi à la miction, le clitoris est un organe totalement voué au plaisir.
Cela n’a pas échappé à la violence déclanchée par la peur masculine qui en instituant la pratique de l’excision a voulu ainsi éloigner sa propre angoisse de castration.
Ce qui va permettre le réflexe orgasmique, d’un point de vue anatomo-physiologique, c’est un réseau neuronal dense avec ses centres effecteurs et récepteurs.
Au niveau de la vulve, la distribution des récepteurs n’est pas univoque ainsi les grandes lèvres et le mont du pubis sont particulièrement sensibles au toucher léger et à la température, alors que le clitoris et les petites lèvres, riches en corpuscules lamelleux sont très sensibles aux pressions et aux vibrations.
Le clitoris est un organe d’une sensibilité extrême qui est doté d’environ 8000 récepteurs nerveux au niveau du gland contre 6000 pour le gland du pénis.
Helen O'Connell, chirurgienne et urologue australienne du Royal Melbourne Hospital, a publié en 1998 une étude du clitoris montrant que celui-ci est bien plus volumineux que ce qu'on croyait. Flanqué d'un réseau de glandes, il se prolonge le long de l'urètre et de la cloison vaginale, par deux bras de 9 cm formés de deux corps caverneux. La partie visible est constituée d’un petit gland hémisphérique mesurant 6-8 mm de diamètre, recouvert d’une peau mince ressemblant à la muqueuse vaginale ( épithélium malpighien ne kératinisé ).
Le capuchon né au même niveau que les grandes lèvres à son extrémité inférieure, fournit au clitoris un prépuce. Ce dernier glisse sur le gland du clitoris grâce à sa richesse des glandes sébacées.
Sous le corps de clitoris, une petite gouttière donne attache à deux replis des petites lèvres, constituant ainsi le frein du clitoris.
Le clitoris dans son ensemble est donc est loin de constituer un simple «monticule» (kleitoris, en grec): le volume représenté par cet iceberg dont on ne voit que la pointe rivalise allègrement avec celui d'un pénis en érection.
Odile Buisson (10) a réalisé une sonographie complète en 3D du clitoris qui en donne une représentation frappante :
Les piliers du clitoris sont constitués de deux corps caverneux, formés de tissus érectiles. Le bulbe du vestibule est l’équivalent du corps spongieux masculin. Il s’agit d’une formation paire de tissus érectiles, de forme ovoïde, longue de 35mm, entourant le vestibule du vagin. Le bulbe vestibulaire est réuni aux corps caverneux par l’intermédiaire de veines bulbaires et clitoridiennes.
En cas de pénétration, la contraction des muscles releveurs de l’anus, rapproche la structure interne du clitoris de la partie antérieure du vagin, augmentant ainsi la sensibilité de la zone.
Du côté du vagin, la paroi, qui est épaisse (8 mm environ), est pratiquement dépourvue d’innervation de surface mais possède une innervation profonde donnant une sensibilité beaucoup plus faible et diffuse que pour les tissus avoisinants.
En revanche, le quart situé à l’entrée du vagin possède une innervation somatique et est donc sensible au toucher et à la température.
A cela s’ajoute une forte érogénéité des culs-de-sac et du col de l’utérus, notamment en réponse aux vibrations.
Enfin l’urètre est entouré de tissus spongieux (éponge urétrale), ainsi que de terminaisons nerveuses et de tissus érectiles. Il est probable que cette zone ait une érogénéité propre. Les glandes de Skene (prostate féminine ?) reliées à l’urètre de canaux très fins pourraient être à l’origine de l’éjaculation féminine (femmes fontaines).
Les techniques d’imagerie médicale ont mis en évidence que lors de l’orgasme la partie inférieure du vagin (premier tiers)se contracte rythmiquement et rétrécis) alors que le fond du vagin se gonfle pour former une cavité au niveau du col de l’utérus et du cul de sac vaginal.
Fort du constat anatomique du peu d’innervation de la paroi vaginale, certains auteurs, notamment dans le courant féministe, ont conclus à une insensibilité du fourreau vaginal, expliquant en outre que cette insensibilité serait nécessaire pour éviter des douleurs encore plus intenses pendant l’accouchement. Selon l’étude Kinsey, seules 14 % des femmes ressentiraient une sensibilité à l’intérieur du vagin.
Certains affirment au contraire que l’intérieur du vagin est constellé de point très sensibles , point G mais aussi point A,C,P… situés de l’entrée du vagin jusqu’au col de l’utérus, aussi bien sur la face antérieure que postérieure (11).
D’autres enfin accordent à l’intérieur du vagin un très fort potentiel originaire d’excitabilité et donc d’érogénéité, potentiel dont le développement aurait été entravé par l’absence au stade très précoce (alors que les connections nerveuses périphériques et dans le cerveau central se mettent en place) de stimulations, rendues alors impossibles par l’intériorité du fourreau vaginal, contrairement au clitoris stimulé très précocement, puis tout au long du développement de l’enfant.
Cette sensibilité pourrait être rétablie par une rééducation appropriée (« exercices » de stimulation avec les doigts ou bien des sex-toys)
Le constat qui peut être fait sur le plan anatomique, est que l’ensemble de l’appareil génital féminin est sensible, à des degrés divers, maximal au niveau du gland du clitoris, très fort au niveau du vestibule et de l’entrée du vagin, plus faible dans les 2/3 de la partie interne du vagin, la zone proche du col de l’utérus semblant pour sa part procurer des sensations particulières et intenses.
Les techniques de Résonance Magnétique Fonctionnelles ont permis de situer la localisation de l’activité cérébrale au cours du plaisir féminin.
La phase d’excitation se traduit par une activation du cortex cingulaire de l’amygdale, de l’insula et du noyau para ventriculaire de l’hypothalamus. L’orgasme se caractérise par une généralisation de cette activité cérébrale qui va s’étendre à d’autres zones cérébrales, notamment le cervelet. Ce sont toutes des régions intimement liées au système limbique au centre de nos émotions.
D’autres études montrent au contraire une désactivation du centre de la peur situé dans l’amygdale, du lobe temporal et du cortex préfrontal impliqué dans le traitement des émotions.
« Cette désactivation est plus marquée chez les femmes que chez les hommes. On voit s’éteindre leur cortex orbito-frontal gauche qui pourrait gouverner le self-control sur des désirs de base comme le sexe et ainsi amener une baisse des tensions et des inhibitions. On voit également baisser l’activité du cortex préfrontal dorso-médian qui semble avoir un rôle dans la moralité et le jugement social » ( 12) Tout ceci indique une forte désinhibition et un lâcher prise.
L’activation de l’hypothalamus libère l’ocytocine, le taux d’ocytocine étant sans doute corrélé à l’intensité de l’orgasme.
L’orgasme augmente également le taux de noradrénaline, ainsi que le taux de prolactine pendant 60mn chez les femmes. Enfin le taux d’endorphine secrétée par l’hypothalamus et l’hypophyse est à son maximum juste après l’orgasme.
Orgasme clitoridien/orgasme vaginal
A partir de cet « état des lieux » la polémique s’est déchaînée entre tenants de l’unique orgasme clitoridien et tenants de l’orgasme vaginal, débat largement faussé par l’idéologie.
A tout seigneur, tout honneur, commençons le recensement des différents points de vue par Freud.
Pour Freud, l’investissement du clitoris comme source de plaisir serait lié à la relation maternelle et à une sexualité imaginairement et primitivement liée au pénis, la petite fille devant ensuite changer d’objet de désir en se détournant de la mère, perçue comme décevante, vers le père. Simultanément, il y aurait abandon de l’investissement clitoridien auquel se substituera l’investissement vaginal, à la puberté ! Dans cette théorie, conserver le clitoris comme source principale de l’orgasme est un signe d’immaturité sexuelle (et psychique).
« Mais la représentation que se fait Freud de ce dernier échange (clitoris vers vagin, ndlr) est pour le moins étrange et témoigne d’un certain refoulement. D’une part le déplacement de la sensibilité du clitoris au vagin est conçu par lui comme se faisant sans reste. Le développement vers la féminité présupposerait donc l’élimination de la zone clitoridienne ! Il n’est pas nécessaire pour savoir à l’encontre de Freud que les érogénéités clitoridienne et vaginale chez la femme sont cumulatives et non soustractives ; sauf isolation due au refoulement. La deuxième incongruité freudienne est de renvoyer à la puberté, à la physiologie de la sexualité donc, l’éveil du vagin. » (13).
En résumé, pour Freud il pouvait y avoir soit orgasme vaginal, soit orgasme clitoridien, mais il sont exclusifs l’un de l’autre et l’orgasme clitoridien est un signe d’immaturité sexuelle.
On imagine facilement la réaction des mouvements féministes dés 1920 et surtout à partir des années 1970.
Les critiques féministes se sont beaucoup appuyées sur les premiers travaux de la sexologie contemporaine.
Le deuxième ouvrage d’Alfred Kinsley, pionnier de la sexologie moderne, "Le comportement sexuel de la femme" ("Sexual behavior in the human female") parait à l'automne 1953. Kinsey y réfute totalement l’orgasme vaginal en affirmant l'insensibilité presque complète de l’intérieur du vagin et du col de l’utérus, considérant le clitoris comme l'organe principal du plaisir sexuel féminin. Kinsey rapproche la sexualité féminine de celle des hommes, physiologiquement, il constate que l’excitation, l’acmé et la détumescence sont identiques pour les deux sexes.
Pour beaucoup des mouvements féministes des années 70, le plaisir vaginal par pénétration n’existait pas et n’était que la résultante du frottement du pénis sur le clitoris.
Nombreuses ont donc été les prises de position antagonistes en faveur d’un « orgasme clitoridien exclusif » ou d’un « orgasme vaginal supérieur au clitoridien », ces prises de position étant le plus souvent sous tendues par des conceptions idéologiques.
Hors ce que montre l’observation clinique, c’est que aussi bien l’orgasme que la jouissance peuvent se déclancher sans une stimulation directe de telle ou telle zone de la vulve ou du vagin et que l’orgasme n’est pas le résultat exclusif d’une stimulation du clitoris et peut être obtenu de bien d’autres façons, y compris par pénétration sans stimulation du clitoris. A l’inverse la jouissance n’est pas réservée à la pénétration vaginale (bien que cette expérience ne puisse être éprouvée que par la prise de possession par un « autre » fût-elle uniquement psychique, verbale ou fantasmée)
Tout un courant de la sexologie moderne tend à dépasser ce clivage clitoris/vagin. Il est temps de considérer avec Hélen O’Connell, que l’organe sexuel féminin est physiologiquement un tout, certes constitué de parties différentes, mais fonctionnellement unies dans la capacité au plaisir sexuel féminin. Les racines profondes du clitoris enserrent le fourreau vaginal dans sa partie antérieure et par leur capacité érectile interfèrent sur le vagin, les contractions musculaires vaginales sollicitent en retour la partie interne du clitoris, les innervations et vascularisation se croisent. Le plaisir féminin n’est pas exclusivement lié à l’extrémité du clitoris, mais à toute la zone vulvaire et intra-vaginale.
D'une part, les orgasmes clitoridien et vaginal suivent les mêmes étapes physiologiques pendant la réponse sexuelle et d'autre part, de récentes recherches anatomiques ont révélé l'existence de connexions nerveuses entre les tissus intravaginaux et le clitoris. Par ailleurs, l'origine uniquement périphérique des différents types d'orgasmes a également été remise en cause (14)
Considérons donc le sexe féminin dans une globalité d’abord lié au plaisir (et bien sur à l’accouchement pour la part du féminin maternel).
La sensibilité de chaque zone génitale est très variable d’une femme à l’autre. C’est une question de cerveau, sans doute en fonction de sa propre élaboration psychique de la sexualité.
La parole des femmes montre bien qu’il y a deux expériences extrêmement distinctes du sommet du plaisir féminin et que chez une même femme, les deux sont accessibles, éventuellement sans stimulation directe de la zone génitale. Le cerveau des femmes est capable d’une manière totalement autonome de déclancher orgasme et jouissance. Si l’on dit toujours couramment que le cerveau des hommes est dans leur pénis, on pourrait aussi dire que le sexe des femmes est dans leur cerveau.
Au-delà du physiologique, il y a le symbolique et de ce point de vue, la question de la pénétration à laquelle le vagin est dévolu constitue la question essentielle de la sexualité humaine, aussi bien masculine que féminine.
Plaisir féminin et psychisme
Le plaisir, l’orgasme et la jouissance féminine sont avant tout une affaire de psychisme et d’inconscient. L’approche purement anatomo-physiologique laisse totalement de côté le ressenti subjectif du plaisir sexuel.
A partir du moment où il n’existe aucune anomalie physiologique (organique, neuronale, hormonale, maladie), toute femme est physiologiquement suréquipée pour le plaisir, l’orgasme et la jouissance. Ce qui fait l’extraordinaire variété des positions féminines face au plaisir sexuel, c’est la dimension inconsciente de celui-ci.
Delà découle l’éventail du vécu sexuel féminin, de l’absence totale de sensations jusqu'à des capacités d’extase, en passant par l’anorgasmie, toutes les nuances étant possibles.
A titre d’exemple, voici ce que déclare une patiente (Sandrine, 38 ans) :
Avec mon compagnon, je n’ai pas d’orgasmes. Je n’en ai jamais eus avec aucun de mes partenaires. Je ressens une sensation de plaisir à la pénétration, mais rien de plus. Je me masturbe depuis l’adolescence, et j’obtiens des orgasmes de cette façon, mais ceux-ci n’ont aucun intérêt pour moi. Je les ressens comme purement mécaniques et ils ne me donnent en définitive aucune satisfaction réelle, à tel point que j’ai cessé.
Voila une femme dont les circuits neuronaux fonctionnent bien, mais dont le vécu psychologique de l’orgasme et les représentations fantasmatiques qui lui sont associés, le vident de sa substance.
A l’inverse, certaines femmes atteignent la jouissance sans caresse génitale, à partir d’une zone quelconque du corps, ou même en l’absence totale de caresse, à partir de l’évocation d’un fantasme ou de mots murmurés à leur oreille par un amant par exemple.
Reprenons à ce sujet le point de vue de Jacques André :
La notion de « zone érogène » en psychanalyse ne définit pas seulement un point sexuel du corps mais l’inscription du fantasme dans la chair. C’est ce qui permet de comprendre que des zones « naturellement » sexuelles peuvent rester silencieuses du point de vue de l’excitation et, qu’à l’opposé, des localisations corporelles sans rapport avec l’anatomie de la sexualité soient des sources vives de plaisir et de satisfaction (15)
Ce n’est pas la voie d’accès au plaisir (clitoridienne, vaginale, anale ou tout autre) mais le vécu psychique de ce plaisir qui crée la différence et l’extrême variété des ressentis féminins dans la sexualité.
Pour mesurer toute l’importance du psychisme dans le plaisir féminin, on peut, à contrario, s’intéresser aux troubles qui affectent celui-ci, à savoir : l’aversion sexuelle, l’absence de désir sexuel, les troubles de l’excitation, l’anorgasmie, la dyspareunie, le vaginisme.
En reprenant les critères diagnostiques du DSM IV :
Aversion sexuelle : Aversion extrême, persistante ou répétée, et évitement de tout (ou presque tout) contact génital avec un partenaire sexuel.
Absence de désir sexuel : Déficience (ou absence) persistante ou répétée de fantaisies imaginatives d’ordre sexuel et de désir d’activité sexuelle.
Trouble de l’excitation sexuelle : Incapacité persistante ou répétée à atteindre ou à maintenir jusqu’à l’accomplissement de l’acte sexuel, une activité sexuelle adéquate (lubrification, intumescence).
Anorgasmie : Absence ou retard persistant ou répété de l’orgasme après une phase d’excitation sexuelle normale.
Dyspareunie : Douleur génitale persistante ou répétée, associée aux rapports sexuels.
Vaginisme : Spasme involontaire, répété ou persistant, de la musculature du tiers externe du vagin, perturbant les rapports sexuels.
Nb : Toutes ces perturbations sont à l’origine d’une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
Une fois éliminées les origines organiques (une affection médicale, un déséquilibre hormonal, une source iatrogène ou la prise de substances pathogènes), ainsi que d’éventuelles causes liées au partenaire, l’origine psychique du trouble s’impose.
Cela est majoritairement avéré dans le cas de vaginisme, rendant toute pénétration impossible ou quasi impossible.
Hors, que nous dit ce symptôme ?
La réponse est dans l’écoute de ce que nous transmet l’inconscient de la patiente au cours des entretiens avec le sexologue :
« Tu ne me pénétreras pas ».
Curieuse injonction du psychisme qui s’impose avec tant de force à l’organique et à la volonté consciente et s’oppose radicalement à l’assomption du féminin érotique !
D’une manière générale, ce refus est présent à des degrés divers dans la majorité des troubles du plaisir féminin d’origine psychogène, mais également, en l’absence de troubles proprement dit, lorsqu’il y a insatisfaction de la qualité de la jouissance.
Carole a 29 ans. Elle vit en couple stable depuis 1 an. Elle n’a jamais connu de relation sexuelle avec pénétration. Lors d’une visite chez le gynécologue à l’age de 11 ans, suite à des pertes blanches, elle ressent une douleur « terrible » à la pose du spéculum et pendant l’examen, sans que cette douleur soit prise en compte par le médecin. Elle aura ses premières règles quelques temps après. Elle n’utilisera ensuite jamais de tampon périodique.
A partir de 13 ans, Carole développe une phobie sociale, elle a peur de sortir de chez elle, elle n’a pas d’amis, elle se réfugie dans le travail.
A 15 ans, elle décide d’expérimenter la masturbation sans pénétration avec le doigt, et y trouve du plaisir.
A 23 ans elle tente une première relation sexuelle avec beaucoup de peur. C’est un échec, la tentative de pénétration d’un doigt dans le vagin provocant l’arrêt immédiat du rapport.
Elle consulte un sexologue à 25 ans mais arrête au bout de quelques séances.
Avec son ami, elle a des rapports sexuels limités aux caresses sur le clitoris (manuelles et cunnilingus), toute pénétration même d’un doigt étant exclue.
Son partenaire n’a pas une position de décideur et reste passif par rapport au trouble de Carole.
Chez son gynécologue elle refuse tout examen de son sexe.
Elle ne peut elle-même se pénétrer : « Cela me dégoûte de me pénétrer avec le doigt, c’est une partie de mon corps qui n’est pas comme les autres, je ne la connais pas. Je la trouve moche, comme le sexe masculin. »
Notons une relation à la mère, fusionnelle, envahissante, ne laissant aucun espace. « Ma mère savait tout de moi, c’est comme si elle vivait les choses à ma place, ma vie par procuration. »
Ce cas est exemplaire, puisqu’on y constate l’association d’un cadre familial enfermant, donc refermant, et d’un trauma sexuel par un gynécologue qui force l’ouverture, ouverture angoissante du fait de l’emprise maternelle.
Le vagin n’est pas investi psychiquement, inconnu. Sa fermeture est le garant de l’intégrité du sujet.
La prise en charge va associer :
-un axe psychologique pour que Carole réinvestisse psychiquement son sexe, pour rompre le lien entre ouverture du vagin et angoisse.
- Un travail de relaxation et de respiration pour que Carole expérimente les bienfaits du lâcher prise et de l’ouverture.
- des exercices très progressifs ne visant pas directement à la pénétration physique, mais lui permettant de se réapproprier visuellement son sexe, à en avoir une représentation positive.
Dans ce qui suit, je me réfère au travail de Claude Goldstein (psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris) (16).
La pénétration, fût-elle voulue, désirée, demandée, espérée…, est de toute façon une effraction. C’est une effraction du corps (s’ouvrir au plus intime de soi même) et c’est une effraction psychique (j’admet l’étranger en moi).
Le Moi, dans ses modalités de contrôle et de maîtrise déteste l’effraction (vécue comme menaçante) qui génère de l’angoisse en lui.
Face à cette angoisse, trois solutions sont possibles :
- Eviter la pénétration, se fermer, fuir la relation sexuelle. A ce niveau, nous avons toute la gamme des dysfonctionnements sexuels féminins, depuis l’absence de désir jusqu’au vaginisme.
- Décharger l’excitation (et donc l’angoisse associée) de façon à la ramener à minima. C’est l’orgasme à petite intensité. Cette solution de compromis permet de se rassurer sur l’intégrité de ses limites, de ne pas s’abandonner et sortir de soi même, de rester dans la maîtrise. Par la décharge, elle arrête le chemin de la jouissance Notons que beaucoup de femmes obtiennent un orgasme en se masturbant pendant la pénétration.
- S’abandonner totalement, s’ouvrir, sortir de soi, renoncer à ses limites, perdre le contrôle, se nourrir de l’excitation dans l’état extatique du bébé pendant la tétée. C’est analogue à une régression du moi à un niveau archaïque oral, en prenant en soi tout ce que l’autre donne, et en redemandant toujours. Ce qui est recherché, ce n’est pas la décharge mais au contraire une extase sans fin, n’être plus que sensations, n’être plus que jouissance.
Rappelons nous quelques unes des paroles de femmes citées plus haut :
Un truc….. qui terrasse, comme une sensation issue d'une sphère inconnue, qui rempli chaque centimètre cube de mon corps (Doris). Il y a une vague intérieure qui monte, c’est beaucoup plus lent à venir et à monter et c’est beaucoup plus long dans la durée qu’un orgasme. Cela m’envahi tout le corps et cela est tellement fort qu’après je suis ko !(Sophie). Je ne pensais pas que l’on pouvait aller aussi loin, hors du temps, hors du lieu où l’on se trouve .Maintenant je ne pense plus qu’à cela, jour et nuit, j’ai en permanence envie de retrouver cette jouissance, je désire qu’il me prenne et me reprenne, d’être toute à lui, qu’il fasse de moi ce qu’il désire (Françoise). Il y a quelque chose d’une autre nature que l’orgasme habituel, comme relié à du spirituel et qui me fait m’envoler beaucoup plus haut, c’est très différent. J’ai l’impression de communiquer avec l’univers, je fais alors partie d’un « grand tout ». C’est comme si je n’existais plus, je baigne dans quelque chose qui me remplit, qui me nourrit, une impression de s’envoler, de ne plus faire partie de la terre (Isabelle).C’était beaucoup plus doux qu’un orgasme, qui est intense, explosif, fulgurant alors que cette jouissance était océanique, douceur, rythme, mouvement doux (Eva). C’était une sensation très forte qui ne me donnait pas envie de hurler de plaisir comme pour un orgasme tel que je le connais, j’avais envie d’ouvrir la bouche pour que quelque chose sorte, sans que cela soit un cris. C’est très étrange, comme si je me dilatais (Murielle). Cela résulte pour moi d’un abandon total, sans aucune réserve physique. C’est l’association d’un moment très sexe dans le corps avec un lâcher prise cérébral. Cela nécessite de se sentir totalement connectée avec l’autre et déconnectée de tout le reste (Salomée).
Au niveau du vécu et du ressenti, l’orgasme n’est pas la jouissance et la jouissance n’est pas l’orgasme. Ils sont liés à des états fondamentalement différents : décharge pour l’orgasme, abolition des limites pour la jouissance.
On peut remarquer que les caractéristiques qualitatives de celle-ci rapprochent beaucoup la jouissance sexuelle de l’extase mystique, et l’on peut penser que ce sont là deux formes du même état de conscience modifié.
C’est d’ailleurs cet état qui est recherché à travers des pratiques issues de la spiritualité orientales, telles que le Tao ou le Tantra.
Il suffit de prendre connaissance de la description d’une extase mystique de Sainte Thérèse d’Avila pour être frappé de la similitude avec les témoignages d’extase sexuelle :
Ce fut d'abord à peine comme un allégement, une sensation fuyante de légèreté; puis tout d'un coup, une suavité dilata sa poitrine; c'était comme une inondation si soudaine que le coeur semblait prêt à se rompre; ses yeux ne voyaient plus; alors la joie l'enveloppe, étreignit ses sens; puis tout s'efface; mais quelque chose d'inconnu lui demeurait : une sensation d'allégresse, une dilatation d'amour.
L'innéfable la pénétrait, ne faisait plus qu'un avec elle; parfois, elle chancelait sous sa violence; cet amour l'envahissait à flot égal comme une mer qui sans cesse gagne du rivage, ne lui laissait plus rien d'elle-même; quelque chose en elle se dissolvait délicieusement jusque dans sa propre matière; elle sentait une protection toute puissante l'enserrer à jamais sans pouvoir s'y soustraire; l'impulsion de la volonté divine chassait sa propre volonté; elle ne pouvait que lui offrir sa soumission et sa passivité radieuse; il lui arrivait de connaître un tel délice, et une telle crainte que ce délice cessât, qu'elle versait malgré elle des larmes et que la gorge étranglait, elle ne savait plus si elle souffrait ou si elle défaillait de joie.(17)
Se fermer, contrôler et décharger ou s’abandonner sont les trois voies psychiques par rapport à la pénétration.
Les deux premières sont liées à l’angoisse d’être pénétrée, que l’on peut situer soit à un niveau archaïque, soit à un niveau oedipien.
On retrouve très fréquemment le niveau archaïque dans les troubles de vaginisme ou de dyspareunie sous la forme d’une fusion au maternel ou d’une configuration familiale enfermante, close sur elle-même. C’est le cas de Carole et de beaucoup d’autres patientes qui restent dans leur place de petite fille. La séparation de la mère (que la pénétration symbolise) est synonyme de mort et le masculin, garant de cette séparation est exclu.
Être pénétrée, c’est mettre fin à la dyade mère/fille. On retrouve souvent dans ces histoires un masculin (père et conjoint) faible.
Du côté oedipien, on retrouve les problématiques de relation au père, à la différence des sexes, à la fixation phallique.
La troisième voie (l’abandon) s’ouvre par le dépassement de cette angoisse en faisant de cette effraction une jouissance, en appelant à la prise de possession, en s’en nourrissant, en s’ouvrant totalement, en effaçant ses limites.
Ce que l’on peut observer des témoignages recueillis, c’est que cette élaboration du chemin de la jouissance se fait le plus fréquemment avec la maturité, par le vécu sexuel et relationnel, par l’éloignement des fixations de l’enfance.
Résumons nous.
Définitivement, la jouissance n’est pas l’orgasme et l’orgasme n’est pas la jouissance. De fait l’un (l’orgasme) arrête l’autre (la jouissance). Remarquons cependant que, si l’orgasme à petite intensité (c'est-à-dire un ou plusieurs orgasmes qui vont décharger l’excitation et mettre fin à l’acte sexuel), est opposé à la jouissance, certains orgasmes en série, de plus en plus puissants, augmentant sans cesse en intensité et finissant par déborder le moi et abolir les limites corporelles et psychiques, sont une voie d’accès à la jouissance.
L’orgasme peut s’obtenir seul, sans partenaire, pour aboutir à une décharge et un sentiment de satisfaction qui referme, fût-il multiple.
La jouissance n’existe que dans le rapport à l’autre et ne peut résulter que de la prise de possession par un autre (physiquement ou d’une manière fantasmatique) par l’abolition des limites, la rédition du moi et elle demande à se perpétuer sans fin, sans extinction. Elle élargie le Moi (Comme si je me dilatais..). Elle ne vise qu’à durer, sans extinction.
Observons que l’extase mystique opère comme la jouissance, à partir d’un « Grand Autre », un être supérieur, fantasmé, qui prend possession de l’être et à qui l’on se donne totalement.
La polarité Orgasme/Jouissance ne recouvre pas la polarité Clitoridien/Vaginal.
Conclusions.
Quels enseignements tirer des observations précédentes dans la pratique du sexothérapeute ?
Tout d’abord, le plaisir féminin est un ressenti éminemment singulier, propre à chacune, l’essentiel étant qu’il soit suffisamment satisfaisant pour avoir une sexualité épanouie.
Il ne s’agit pas de placer les femmes dans une compétition à l’orgasme ainsi que le font certains articles médiatiques qui génèrent chez certaines patientes une anxiété quand à la qualité de leur plaisir.
Il ne s’agit pas non plus de créer une hiérarchie entre Orgasme et Jouissance, l’un et l’autre ayant leur fonction dans la vie sexuelle de la femme, comme de l’homme.
Il s’agit, lorsqu’il y a plainte sur la qualité du plaisir sexuel ressenti, de bien comprendre où la patiente en est dans sa sexualité et quels fondements à cette plainte et quelles difficultés de vie il en résulte pour elle.
Lorsqu’il n’y a pas trouble sexuel à proprement parler, nous avons souvent affaire à deux sortes de demandes : soit « j’ai des orgasmes clitoridiens, pourquoi n’ai-je pas d’orgasme vaginal ? Soit Le plaisir que je ressens est-il suffisant ?
La prise en charge de ces patientes qui, bien qu’ayant des orgasmes ont un sentiment d’insatisfaction par rapport à leur plaisir va s’effectuer sur plusieurs niveaux :
1° Déterminer si la demande est fondée sur un réel sentiment de frustration dans la relation sexuelle ou bien si elle est induite par une prétendue normalité ou nécessaire intensité de l’orgasme ou d’un impératif de jouissance, véhiculés par les médias.
2° Rassurer sur sa capacité à obtenir une sexualité de jouissance.
3° Explorer la qualité de la dynamique relationnelle avec le partenaire, hors sexualité, lorsqu’il y a une relation suivie.
4° Travailler sur le « lâcher prise » dans la relation sexuelle, y compris par rapport à l’orgasme ou à la jouissance. Plus on est dans une volonté de l’obtenir, moins on l’atteint ; Plus on est dans la maîtrise et le contrôle, plus cela sera difficile, voir impossible.
Quelque soit le niveau de plainte d’une femme par rapport à son plaisir, du plus fermé au presque totalement ouvert, ce travail est difficile car il se heurte à des résistances extrêmement puissantes, qui vont se manifester tout au long de la prise en charge.
En sexothérapie intégrative cette prise en charge va s’effectuer à partir des trois pôles suivants :
1° Un travail psychologique sur l’image interne du féminin, sur le réinvestissement psychique de son sexe, et sur le ressenti pendant l’acte sexuel
2° Un travail en séance de relaxation et de respiration, d’exercices corporels et faisant appel aux sens.
3° Des exercices à faire seule ou avec son partenaire visant à expérimenter le renoncement au contrôle et à la maîtrise, à s’en remettre à l’autre.
Dans les exercices de type comportementaux, il faut être vigilant à ne pas stimuler et renforcer les résistances, notamment avec les exercices visant à progressivement se pénétrer (avec un doigt ou tout autre moyen), exercice fréquemment recommandés pour les patientes vaginiques ou dyspareuniques. Les protocoles comportementaux utilisés dans ces cas doivent être extrêmement progressifs et il faut veiller à suspendre ou revenir en arrière dans le processus si les blocages se renforcent avec l’angoisse de pénétration.
En définitive, comme dans toute prise en charge thérapeutique l’essentiel est dans la volonté de la patiente d’aller mieux, dans la prise de conscience qu’elle peut quelque chose pour elle-même et le haut degré d’investissement de celle-ci dans la thérapie.
Références bibliographiques
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(3) Les femmes et leur plaisir, Isabelle Yhuel, éditions J’ai lu, (p47)
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(5) La sexualité féminine, Yves Ferroul, ed Elipses 2002 (p26)
(6) Clitoridectomie comme traitement de l’onanisme dans l’Europe du 19eme siècle, texte blog Pénélope.
(7) Le Cerveau au cœur du plaisir féminin, S Ortigue & F Bianchi-Demiceli, Revue médicale Suisse N° 58 22/03/2006.
(8) Les femmes et leur plaisir op.cit p
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(11) Le traité des orgasmes, Dr Gérard Leleu, LEDUC.S éditions ; 2007
(12) Elisa Brune, Yves Ferroul, Le secret des femmes Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, Odile Jacob 2010 – p 118.
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(14) Le Cerveau au cœur du plaisir féminin, S Ortigue & F Bianchi-Demiceli, Revue médicale Suisse N° 58 22/03/2006.
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(17) Rapporté par Jean-Paul Barriere jean-paul.barriere.pagesperso orange.fr/divers2/therese.htm